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🕓 Temps de lecture : 10 minutes
Ecrit par Sawsane le 08 août 2023
Zara, Abercrombie & Fitch, Adidas, C&A, Calvin Klein, Gap, H&M, Fila, Lacoste, Nike, Puma, The North Face, Ralph Lauren, Tommy Hilfiger, Uniqlo, Victoria’s Secret…
Autant d’exemples de marques accusées de tirer profit de l’exploitation de la minorité Ouïghoure. Sur 83 marques épinglées pour de telles pratiques, plus d’une cinquantaine sont liées à l’industrie de l’habillement, selon le rapport de l’ONG Australienne ASPI.
Raison pour laquelle, à l’occas<ion de la soirée d’ouverture de la Fashion Week de New York, quelques 50 manifestant.e.s se sont rassemblé.e.s. Parmi les slogans scandés par les activistes on pouvait ainsi entendre « Tirez-vous profit de l’oppression de tout un peuple ? ».
Des mannequins protestant contre l'exploitation des Ouighour.e.s à l'occasion de la Fashion Week de New York | © Instyle
Une façon de pointer du doigt les complicités inavouables de la mode… Avec, ce qui semble être, le plus grand internement d’une minorité religieuse depuis la seconde guerre mondiale.
Produire chaque année près de 130 milliards de vêtements est un modèle par nature insoutenable. Un modèle comportant nécessairement des coûts.
Le prix ?
Le financement d’un vaste système d’exploitation orchestré par l’État chinois.
La Chine est le premier producteur de coton au monde. Sa mine d’or (ou dans le cas présent, de coton) réside dans le Nord-ouest du pays, au Xinjiang, où 84% du coton national est produit.
Récolte, transformation de la matière première, distribution, c’est dans cette région que tout se joue.
Elle fournit surtout la moitié des marques dites de « fast fashion » et avec elle, une bonne pioche de créateur.rice.s.
"Fabriqué dans la terreur" | © Shutterstock
En bref, 20% des articles en coton produits dans le monde sont originaires de la région. Statistiquement impossible donc, que vous n'ayez pas un t-shirt, pantalon, robe qui soit issu (en partie) du Xinjiang
Ce qui peut sembler être une information assez anodine. Sauf que. Sauf que, ce coton est le fruit de travail forcé. Celui des Ouïghours.
Enfermé.e.s dans des camps dits de « rééducation volontaire » par le gouvernement chinois, pas moins de 1,8 million de personnes seraient internées et contraintes à des travaux de récolte, de transformation ou de confection. Soit plus de 10% de la population Ouighoure recensée en Chine.
Un phénomène qui se profile depuis au moins quelques années.
Les Ouïghour.e.s peuplent majoritairement le Xinjiang et représentent une minorité turcophone culturellement distincte de la majorité Chinoise. Leurs nombreux appels à l’indépendance ont mené à une violente répression de la part de Pékin, qui a pris les proportions qu'on lui connait aujourd'hui.
Sur leurs conditions de détention, de nombreuses sources rapportent des informations qui font froid dans le dos.
Certaines femmes ont été stérilisées de force, d’autres ont dû subir un avortement et dans certains cas essuyer des violences sexuelles. Des enfants ont été enlevés à leurs parents et des familles entières séparées. Sans compter les cours d’endoctrinement politique.
Menotté à son lit, les chevilles gonflées, le regard vide : l’ancien mannequin ouïghour Merdan Ghappar a réussi à envoyer une vidéo rare de ses conditions de détention dans un camp chinois. Son oncle s’est confié à AJ+: pic.twitter.com/d4RyZzjAIZ
— AJ+ français (@ajplusfrancais) August 13, 2020
Sur une vidéo publiée par la BBC, on peut ainsi voir le mannequin Ouighour, Merdan Ghappar, hagard, menotté à un lit, chevilles enflées. Images qui donnent à voir un bref aperçu de ce que serait un centre de détention de masse.
Des sources immédiatement démenties par le gouvernement chinois pour lequel de tels camps n'existent pas. D’autres images rapportées par des drones montrent des Ouighour.e.s, yeux bandé.e.s, amené.e.s vers des trains – qui selon l’ambassadeur de Chine au Royaume-Uni ne seraient qu’une captation d’un transfert de prisonnier.e.s.
Voilà pourquoi, un collectif regroupant près de 180 ONG, dont le Collectif l’Ethique sur l’Etiquette, propose l’arrêt des activités des entreprises engagées dans la région du Xinjiang. Après signature de l’appel, les marques disposent de 12 mois pour quitter la région.
Pour autant, quitter le Xinjiang ne constitue en réalité, qu’une réponse limitée au problème.
A l'extérieur du Xinjiang, de nombreux.ses Ouighour.e.s sont confronté.e.s à des violences similaires. Entre 2017 et 2019, plus de 80 000 Ouïghour.e.s, détenu.e.s dans la région du Xinjiang auraient ainsi été transféré.e.s dans des usines à travers la Chine. Mécanisme dûment encadré par l'État Chinois, selon l’ASPI.
L'usine de Quingdao Taekwang Shoes, établie dans la province du Shandong, à mi-chemin entre Pékin
et Shanghai, compte parmi les sous-traitants de Nike les plus prolifiques.
Qui a produit pour la marque à la virgule quelques 7 millions de paires de chaussures l’an dernier. A ce sujet, Nike est restée très succincte en condamnant le travail forcé sans davantage épiloguer sur la situation de l’usine.
Depuis 2007 pourtant, près de 9 800 Ouïghours ont été amené.e.s dans la province du Shangdong pour travailler dans cette usine. Ce seraient "60 promotions" d'ouvrier.e.s qui se seraient succédées.
Sur des photos, on constate ainsi que l’usine est équipée de tours de guet, de fils de fer ainsi que de barbelés. Les allées et venues des travailleur.se.s, bien que libres, sont surveillées scrupuleusement par des caméras à reconnaissance faciale.
Les posters affichés devant l'usine Quingdao Taekwang Shoes sur lesquels on peut lire "Le rêve chinois" ou encore "Toutes les ethnies forment une seule et grande famille" | © Anna Fifield / Washington Post
Pour ne rien arranger, les chaînes d’approvisionnement déjà illisibles sont rendues toujours plus complexes par la politique du "don’t ask, don’t tell". Et avec, ce sont des centaines de milliers de produits qui continuent d'être vendus à des prix défiant toute concurrence. A la condition que l’acheteur.se n’émette pas de question sur l’origine des produits.
Ce qu’on ignore ne peut nous faire de mal…
Des Ouighours incarcérés dans les prisons chinoises
Le corollaire auprès des travailleur.se.s ? Ne rien dire. Parler librement et dénoncer les terribles conditions de détention, c’est s’exposer à des sanctions. Dès lors, aucune marque ne dispose de moyens crédibles pour affirmer que sa chaîne est exempte de travail forcé. Au Xinjiang comme ailleurs en Chine.
Se pose la question de la fiabilité des audits.
« Une marque de vêtements qui prétend savoir que toutes ses usines partenaires dans la région sont exemptes de travail forcé est soit profondément cynique, soit mal informée ».
Scott Nova, directeur exécutif du Workers Rights Consortium
Raison pour laquelle, des activistes comme Maajid Nawaz, préconisent la cessation de tout financement et investissement des entreprises chinoises.
Face au constat édifiant établi par les médias et autres lanceur.se.s d’alerte sur la situation en Chine, pourquoi les marques montrent-elles autant de difficulté à partir ?
A l’heure où ces dernières se saisissent de Black Lives Matter, on pourrait les penser plus politisées que jamais. Les raisons derrière ce silence de plomb sont aussi bien économiques que politiques.
"Nike fait des spots extraordinaires sur 'Black Lives Matter' et contre l’esclavage des Noirs aux Etats-Unis mais Nike emploie dans le même temps, via ses fournisseurs, des esclaves dans le Xinjiang en Chine"
Raphaël Glucksmann
Les buts que se fixent les entreprises modernes consistent essentiellement à gonfler leur chiffre d’affaires ainsi que les poches de leurs actionnaires. Et quand on ne peut produire davantage… on cherche à réduire les coûts.
Ce qui mène à une généralisation de la sous-traitance qui doit pouvoir justifier de prix toujours plus bas. C’est là qu’on touche au problème des droits des travailleur.se.s et de leur rémunération. Se reposer sur du travail forcé coûte une bouchée de pain. Voire rien du tout. Sans compter que partir coûte cher.
Selon Scott Nova : « [La Chine est le] moyen le moins cher et le plus fiable d’obtenir du coton, la plupart des marques y ont leurs propres ambitions […] et elles ne veulent pas offenser le gouvernement ».
Certaines marques ont en effet réussi à nouer des partenariats stratégiques et lucratifs auprès des entreprises chinoises. Beaucoup de ces marques bénéficient, de fait, de subventions gouvernementales pour développer la production textile locale.
Et celles qui ne courbent pas l'échine le paient du prix fort. Après que le dirigeant d’une équipe de basketball Américain ait tweeté son soutien à la contestation populaire d’Hong Kong, la diffusion des matchs de la NBA, gros marché en Chine, a été suspendu par Pékin.
Tweet publié par Daryl Morley, directeur général des Houston Rocket qui a provoqué la polémique
Le 19 Juin, Adidas s’engage à ne jamais recourir dans sa chaîne de production aux travailleur.se.s forcé.e.s Ouighours et à couper toute relation avec les fournisseurs le faisant.
Le 26 juin c’est au tour de Lacoste.
Le 15 septembre H&M déclare arrêter de se fournir en coton auprès de la région du Xinjiang. Mais le groupe suédois concède toutefois qu'il entretient une "relation commerciale indirecte avec un moulin" situé à Shangyu dans la province Zhejiang.
Nous viserons chaque marque incriminée.
— Raphael Glucksmann (@rglucks1) August 3, 2020
Ne laissez personne dire qu’un partage ou une interpellation sur les réseaux ne sert à rien. La seule chose qui ne sert à rien est de ne rien faire et ne rien dire face au crime.
(🙏Clémence Thune et la Barronne de Baronie)#FreeUyghurs pic.twitter.com/MwlL7TGDuB
Des déclarations qui ont été obtenues grâce à la mobilisation de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann et à une campagne en ligne particulièrement suivie.
L’objectif à terme annoncé par son instigateur ? Des mesures légales qui contraignent les entreprises à tenir leurs engagements. Le député ainsi que ses collaborateur.rice.s entendent ainsi présenter une loi sur le devoir de vigilance des entreprises au Parlement Européen.
La Chambre des représentants des États-Unis envisage elle aussi un projet de loi - la loi sur la prévention du travail forcé Ouïghoure.
Sur la modèle de la campagne de Glucksmann, la solution à terme semble passer par la mise à contribution des consommateur.rice.s et des internautes.
Continuer à mettre en lumière les conditions d’exploitation des Ouighour.e.s et faire pression sur les marques qui y recourent semblent être la meilleure option. Ultimement, les marques seront contraintes de quitter le Xinjiang. Et peut-être la Chine.
Des centres de "rééducation" qui ressemblent en fait à des centres de travaux forcés | © Shutterstock
C’est toute une chaîne d’approvisionnement qui serait affaiblie et une partie de l’économie chinoise avec. Or, en matière de politique, les ressorts commerciaux peuvent se révéler sacrément efficaces.
Coronavirus, guerre commerciale avec les Etats-Unis - qui s’apprêtent à bannir les imports de vêtements et les produits high-tech venus de Chine… Autant d’éléments qui peuvent faire flancher la Chine. Et peut être l’amener à repenser sa politique vis-à-vis de la communauté Ouïghoure."Les marques de mode n’ont pas à être des libérateurs actifs. Elles doivent simplement arrêter de financer - et donc d'encourager le nettoyage ethnique."
Melanie DiSalvo, consultante pour Virtue + Vice
Ce qui ne veut pas dire que le secteur de la mode et son fonctionnement ne méritent pas discussion. Une refonte complète est nécessaire.
Il s’agit de se demander comment les entreprises d’habillement peuvent participer et profiter activement d’un système reposant sur la violation des droits de l’homme et du travail. Nous l’avons vu avec le scandale de Boohoo à Leicester au Royaume Uni : parfois les lois de protection ne sont pas suffisantes.Certaines actions peuvent, à notre petit niveau de consommateur, aller en faveur d'une mode éthique et sans bafouer les droits de l'Homme. Par exemple, acheter des vêtements made in France femme ou des vêtements made in France homme garantie une fabrication locale et éthique, respectueuse des travailleurs.
Nos sources :
Where Fast Fashion Meets Slave LaborTags : Les enquêtes