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🕓 Temps de lecture : 9 minutes
Ecrit par Sawsane le 11 août 2023
Polluante. Un adjectif qui revient comme un air lancinant dès lors que l’on parle fast-fashion. Les points de crispation ? Une agriculture gourmande en pesticides et en eau, des transports gros producteurs de CO2 – qui représentent en fait une toute petite part de la pollution totale émise par la production.
Rarement cités en revanche et pourtant essentiels à la genèse du vêtement : les procédés de transformation. Parmi lesquels, la teinture, véritable désastre écologique.
Il y a des choses à dire sur la teinture chimique dans l’industrie du vêtement. Beaucoup. Son utilisation conjuguée aux conséquences néfastes qu’elle entraîne font d’elle le cocktail molotov de la chaîne de transformation.
La teinture serait ainsi responsables de 20% de la pollution des eaux dans le monde. Orsola de Castro, co-fondatrice du mouvement Fashion Revolution, déplore "On peut prédire la prochaine couleur à la mode en regardant celle des rivières en Chine."
Au point même qu’en Chine on parle de “villages cancer” bordant les rivières (sur)polluées. Qu’il s’agisse de tissu naturel ou synthétique, impossible d’y échapper : des milliers de produits chimiques sont utilisés pour colorer nos vêtements.
Une coloration naturelle ou industrielle ? | © Jaanus Jagomägi / Unsplash
La teinture permet, comme vous vous en doutez, de colorer le vêtement. Plusieurs options : teindre le fil, le tissu ou le produit fini en plongée.
Si la teinture était originellement végétale, depuis le XIXe siècle les choses ont changé. Avec le développement des colorants dérivés du goudron, les colorants conventionnels représentent aujourd’hui la majorité de l’impact environnemental du vêtement. Un impact variable en fonction du type de fibre, de la technique de teinture et des machines utilisées.
Une rivière polluée par des teintures | © RiverBlue
Les métaux lourds mais aussi le formaldéhyde et les phtalates, sont autant d’éléments contenus dans les colorants synthétiques susceptibles de perturber le système hormonal et d’augmenter les risques de cancer pour les salarié.e.s du textile. Le permanganate de potassium et le mercure par exemple, utilisés pour détendre et teindre les jeans sont très toxiques.
La rivière Li à Xiantang, autrefois surnommée "Perle de la Chine", polluée par le plomb et le mercure utilisés pour la teinture des jeans, a vu son exploitation rendue impossible, aussi bien pour la pêche et l’agriculture que la consommation.
« La rivière Li à Xiantang, polluée par la teinture des jeans a vu son exploitation rendue impossible »
80% seulement de la teinture s’accroche au vêtement tandis que les 20% restants sont rejetés lors du rinçage. Ce n’est pas moins de 40 000 à 50 000 tonnes de colorant qui sont rejetés dans les cours d’eau chaque année.
Et en termes de coût humain ? Un désastre. Le documentaire RiverBlue en fait état. Au Bangladesh, tandis qu’un homme pêchait du poisson pour nourrir sa famille, il a été tué par une substance chimique rejetée par une usine plus tôt dans la journée. Certains enfants ont perdu leur odorat alors qu’ils marchaient dans les quartiers où les teintures sont réalisées.
L'affiche du film RiverBlue | © Paddle Production Inc.
Au delà même de la toxicité des colorants industriels, ils représentent un gouffre énergétique. Des autoclaves, énormes machines pressurisées assorties de bains de teinture à plus de 100°C sont utilisées.
Les usines, situées pour la plupart en Asie utilisent encore du charbon ou du gaz naturel, ce qui représente une énorme quantité de CO2. Et cela sans compter le fait qu’en moyenne un kilo de tissu nécessite entre 80 et 100 L d’eau pour être teint selon Richard Blackburn, du Centre des textiles techniques de l'Université de Leeds.
En 2011, la campagne Detox de Greenpeace a permis de mettre en lumière la dangerosité des produits toxiques utilisés sur la chaîne de production tout en enjoignant de nombreuses marques au changement. L’association a obtenu de près de 80 marques, dont H&M ou C&A, un engagement vers plus de transparence et surtout la promesse du zéro rejet d’ici l’horizon 2020.
Pour autant, nous ne savons pas ce qu’il en est à l’heure actuelle quand bien même des rapports publiés par Greenpeace indiquent des progrès en la matière. L’ONG incite par ailleurs à continuer les efforts puisque les avancées ne constituent à ce jour “qu’une goutte d’eau dans un océan de pollution”.
Une campagne de WeDressFair pour dénoncer les travers de la mode
Le problème principal concernant la chaîne de production réside dans l’absence de législation stricte à même d’encadrer l’usage de produits chimiques. Si l’Europe a mis en place des réglementations, leur portée n’est que limitée puisque l’essentiel de production mondiale de textile est localisée dans les pays émergents. A l’heure de la production de masse, les contrôles sont de moins en moins fréquents. Or en l’absence de normes globales, les progrès s’annoncent longs.
A l’intérieur même de l’Union, les effets restent à nuancer. La réglementation REACH adoptée en 2006 par l’Union Européenne vise à réguler l’usage de produits chimiques toxiques afin d’améliorer la santé humaine, en agissant notamment sur les importations.
La réglementation REACH est-elle efficace ?
Mais le directeur de l’Agence européenne des produits chimiques (AEPC) confie au Monde en mai 2019 que près de 654 entreprises ne respectent pas la réglementation sur les produits chimiques.
Ces dernières années, la slow-fashion a contribué à des modifications substantielles au sein de la chaîne de transformation, donnant lieu à des processus plus en adéquation avec les problématiques sociales et environnementales. De plus en plus de marques éco-responsables prennent en compte cet enjeu en proposant des vêtements éthiques pour femme et des vêtements éthiques pour homme teints avec des produits non toxiques.
La teinture contribue pour beaucoup à la pollution des eaux et participe largement de l’impact environnemental de l’industrie textile. Selon Angel Biosca, les couleurs sombres ou vives sont souvent l’indicateur de l’usage de métaux lourds.
Bannir la teinture complètement de procédés de fabrication semble constituer la solution la plus durable. On retrouve notamment des t-shirts bio pour femme et des t-shirts bio pour homme fabriqués exclusivement en coton naturellement coloré. Les initiatives renonçant à la teinture restent cependant marginales.
Qui sait, tout ça pourrait servir à la teinture de votre prochain vêtement ? | © Del Barrett
D’autres alternatives existent. Les teintures végétales extraites de plantes fraîches ou séchées offrent une large palette de couleurs. L’entreprise Achroma par exemple propose des teintures végétales issues de coquilles et de feuilles de noix non comestibles.
Mieux encore : les colorants, souvent extraits de produits sur le point d’être jetés, sont de plus en plus prisés. Aurélia Wolff, créatrice de la marque Whole a mis en place un réseau de récupération de déchets en utilisant des fanes de carottes ou de la peau d’avocat destinés à la poubelle, donnant de jolies couleurs jaune et rose.
« Ce besoin de matières naturelles n’est pas dû au hasard, cela nous permet de créer des produits complètement écologiques »
Laura Chantebel, fondatrice de Fibre Bio
Le végétal oui. Mais aussi les micro-organismes. En 2011, Natsai Audrey Chiezan et son équipe découvrent une bactérie capable de produire des pigments. Oscillant entre le bleu et le rose en fonction du pH du sol dans lequel la bactérie a été trouvée, les pigments ne requièrent ni produits chimiques ni de grandes quantités d’eau.
Toujours en matière d’économie d’eau, l’usage de la teinture avant filage, permettrait de sauvegarder pas moins de 90% de l’eau utilisée lors de la production.
Pour la fondatrice de Fibre Bio, l’usage de teinture végétale ne tient pas seulement aux pigments et aux techniques de teintures mais aussi au choix des matières et à leur préparation.
Selon elle, impossible de teindre du polyester naturellement par exemple : « Ce besoin de matières naturelles n’est pas dû au hasard, cela nous permet de créer des produits complètement écologiques. »
En tant que consommateur.rice que faire face à la présence de substances toxiques dans nos vêtements ? Le lavage avant le premier usage. Un conseil simple mais qui a son importance : un lavage permet, dans la plupart des cas, d’après le responsable belge de Greenpeace, Martin Bésieux, de se débarrasser des molécules posant problème et notamment des NPE.
Greenpeace a œuvré au réveil des grandes marques sur leurs pratiques | © Markus Spiske / Unsplash
Si aujourd’hui, aucune certification spécifique ne se rapporte exclusivement aux produits chimiques utilisés lors de la transformation, des certifications telles que GOTS garantissent au moins la durabilité des processus.
Le standard 100 d’OEKO-TEX, permet de détecter une longue liste de substances nocives dans les textiles. L’Écolabel européen garantit quant à lui la limitation de l’usage de produits toxiques et allergènes par les industriels et interdit l'utilisation du sablage.
Se référer aux labels lors de ses achats c’est déjà limiter son exposition à ces composants chimiques.
La teinture ne représente qu’une partie du problème et son élimination n’est pas suffisante.
C'est la chaîne de production dans son entièreté qu'il faut considérer : cycle de production, l'utilisation et la réutilisation des matériaux, l'extraction de nouvelles ressources naturelles, l'émission de gaz à effet de serre et la production de déchets sont autant de données à prendre en compte et sur lesquelles il faut agir.
Nos sources :
Comprendre le prix des vêtementsTags : C'est quoi le problème ?